Dans la société béninoise, il existe une réalité occultée notamment la santé reproductive des prostituées. Ce sujet est considéré comme tabou et est relégué dans l’ombre. Pourtant, l’acte de prostitution par lui-même ou en lui-même ne représente pas un délit puni par le Code pénal en vigueur en République du Bénin.
Le programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) estime qu’il y a environ 15.000 prostituées au Bénin. Bien qu’il s’agisse de 0,2% de la population béninoise, les textes en vigueur accordent le droit à une sexualité saine et protégée à tous. Cette enquête exclusive de Social TheCom se rend dans l’univers de ces filles pour toucher du doigt la réalité concernant leur vie sexuelle.
Elle tient également lieu de sensibilisation pour les jeunes qui pourraient être tentés de s’engager dans des relations sexuelles non protégées avec les travailleuses du sexe. L’étude est faite entre Avril 2021 et Mai 2023 dans les villes de Cotonou et Abomey-Calavi où la pratique bat son plein.
L’ambiance voilant la réalité
L’obscurité de la nuit enveloppe la ville alors que l’horloge affiche fièrement 23h. Les rues d’Abomey-Calavi s’animent d’une énergie palpable, vibrant au rythme effréné de la vie nocturne. Bienvenue dans ces fiefs urbains, des endroits où les ombres se mêlent à la lueur des néons attirants, où la vie nocturne est à son apogée. Des voix s’entremêlent dans une cacophonie sonore harmonieuse, des rires résonnent, et des notes de musique s’échappent des bars et des boîtes de nuit.
Dans cet environnement, il est impossible d’ignorer la présence marquante qui domine la scène nocturne : les prostituées. A Calavi-Kpota, de la rue mènant à Togba, des encablures de Godomey Magasin, la zone du CEG Godomey, elles sont au « poste ». Des filles parées de tenues légères, se déplaçant avec une assurance presque théâtrale. Leurs pas déterminés révèlent un métier où la recherche de subsistance se confond avec une quête de liberté et de pouvoir sur leurs propres vies. Leurs voix résonnent avec un mélange d’audace et de vulnérabilité, appelant l’attention des passants.
Ces femmes naviguent dans un environnement qui oscille entre acceptation et stigmatisation, exploitation et choix autonomes. Les conversations discrètes se tissent dans l’ombre des ruelles. Les transactions se concluent dans la discrétion d’un recoin. Mais derrière les apparences, derrière ces murs de désir et de commerce, se trouvent des êtres humains avec leurs espoirs, leurs luttes et leur humanité. C’est un lieu où la lumière et l’ombre dansent ensemble. Un lieu où la nuit héberge des défis et des inégalités qui persistent depuis toujours.
Un grand manque d’information
Nous voici dans l’une des chambres de passage avec Awa (nom d’emprunt), une fille de joie de nationalité nigériane exerçant dans l’un des fiefs d’Abomey-Calavi. Dès l’entrée dans la chambre, le geste est presque systématique. La jeune fille, la vingtaine, ouvre un sachet de préservatif croyant qu’il s’agit d’un client venu ‘’travailler’’. Une autre disposition préliminaire, un liquide lubrifiant qu’elle applique sur son sexe. Après les négociations, elle comprit le but de la visite et accepte de se confier à notre micro.
« Je sais que je suis exposé à des risques d’infection. J’en ai bien conscience mais je crois que le préservatif m’aide à limiter les risques. C’est le seul moyen pour moi de me protéger contre ça. » a-t-elle fait savoir. Pour ce qui concerne le liquide utilisé dont elle ignore le nom, il s’agit en réalité du spermicide. L’information qu’elle possède est qu’« il paraît que cela tue les spermatozoïdes et permet aussi de lubrifier mon vagin. Les choses qu’on utilise, on ne sait pas toujours ce que c’est. On l’utilise parce qu’il le faut. C’est risqué mais je n’ai pas d’autres choix ».
L’accès limité à la contraception
Au sein de ce fief de travailleuses du sexe, une réalité troublante se fait sentir. L’accès à la contraception est très limité compte tenu de plusieurs facteurs. Cependant, elles font face à un risque considérable de grossesses non désirées et de maladie sexuellement transmissible. Dans ce contexte, les obstacles qui entravent leur accès aux services de santé sexuelle et reproductive semblent insurmontables. A Godomey, Loris (nom d’emprunt), une ghanéenne ayant 23 ans et travailleuse de sexe nous confie : « Personnellement moi j’ai peur d’aller à la pharmacie pour éviter les regards accusateurs».
Par ailleurs, la prostitution entraîne, sans l’ombre d’un doute, des revenus non déclarés et une protection sociale limitée avec des difficultés d’accès aux droits de séjours. Les démarches administratives pour bénéficier des avantages sont souvent longues et n’aboutissent presque jamais selon les témoignages de certaines filles rencontrées. A cela s’ajoute, le manque de connaissances des droits et des institutions, puis la barrière linguistique.
Crainte du jugement et stigmatisation
Sur trente filles interrogées dans le cadre de l’enquête, 25 soit les 83%, affirment avoir eu une très mauvaise expérience avec les médecins. Les expériences vécues et la crainte de les vivre encore justifient la renonciation aux soins de santé sécurisés. En réalité, elles évitent l’hôpital pour ne pas avoir à parler de leur parcours de prostitution.
Cette expérience, une travailleuse de sexe ayant requis l’anonymat l’a vécue. Les larmes aux yeux cette jeune femme de 21 ans fait un triste témoignage. « Une fois j’ai été à l’hôpital parce que je ressentais des douleurs au niveau du bas ventre. Le gynécologue m’a demandé si j’avais plusieurs partenaires sexuels. Je lui ai avoué que j’étais une prostituée. Dès lors qu’il a entendu cela, il m’a lancé un regard de dégoût et ma prise en charge était devenue comme une corvée pour lui. Je le sentais clairement. J’avais mon argent et tout ce que je voulais était d’être soigné. Mais j’ai été très négligée juste à cause de mon statut. » a-t-elle confié.
La précarité facilite la prise de risques
La pression financière et le manque d’options viables les laissent avec peu de choix réels. Elles acceptent des clients sans pouvoir négocier l’utilisation de préservatifs. D’autres pratiques sexuelles plus risquées sont également acceptées selon la rémunération. Cette précarité économique et sociale les piège dans un cycle sans fin. Un piège où les risques deviennent une triste réalité quotidienne qu’elles doivent affronter pour simplement survivre.
« Est-ce que j’ai le choix même ? » lance Chancelle (29 ans) exerçant à Cotonou dans les environs du stade de l’amitié Général Mathieu KEREKOU. « Un soir, un client a garé sa voiture devant moi. Il a sollicité mes services et voulait que nous allions au sexe sans préservatif et je devais aussi lui « faire la pipe ». Il a proposé une enveloppe de 200.000 francs et m’a rassuré qu’il n’avait aucun problème de santé. Je n’ai même pas réfléchi avant d’accepter. Il y a des clients qui sont comme ça. Ils proposent une grosse somme et tu n’as pas d’autres choix que d’accepter sachant qu’il y a des risques. » poursuit-elle.
Sa collègue Afissath (nom d’emprunt) une prostituée togolaise et mère de famille confirme qu’elle « sait que faire la pipe peut donner des maladies mais des clients exigent cela. Parfois, je fais la pipe alors que le préservatif est déjà placé. Il me faut avaler le lubrifiant qui se trouve sur le préservatif. C’est très dégoûtant mais je n’y peux rien. J’ai une fille de 3 ans à nourrir à la maison et je ne peux qu’accepter les conditions de mes clients ».
La violence presqu’une norme
L’ensemble des personnes interrogées affirme avoir été agressé au moins une fois dans leur parcours prostitutionnel. Dans le noir bouillant de Gbegamey, une fille de joie se faisant appeler ‘’ Queen ’’ tient une cigarette en main à notre arrivée. Elle a un regard prudent et est sur le qui-vive durant toute la discussion. La raison est toute simple : elle a souvent été victime de violences sexuelles. « Depuis 2016 j’ai été agressée plusieurs fois. Comment me défendre contre un mec qui fait trois fois mon poids ? Bah…je supporte. C’est devenu normal pour moi »
Celle que nous désignons par madame X a déjà tenté de se plaindre à la police après une agression subie en 2020. « C’était une peine perdue » déclare-t-elle. « L’agent de police a refusé de prendre ma plainte d’autant que j’étais prostituée. Il m’a dit que dans la mesure où je suis une prostituée, je ne pouvais pas avoir été violée. Mes sœurs sont violées au quotidien. Nous faisons de notre mieux pour nous défendre. Nous assurons notre propre sécurité ».
Ce qu’il faut faire
La première action serait d’engager une lutte contre la stigmatisation et la violence à l’égard des prostituées. Il est important de créer un environnement sûr et bienveillant qui encourage les prostituées à rechercher les soins dont elles ont besoin sans crainte de représailles. Une autre démarche protectrice serait de fournir une éducation sexuelle complète et accessible aux prostituées. Elles pourraient bénéficier des informations sur les méthodes de contraception, les infections sexuellement transmissibles, la prévention des violences sexuelles et les droits sexuels et reproductifs.
Une enquête réalisée par Yanick ZOUNTCHEGBE