Parler d’interruption volontaire de grossesse au Bénin demeure un exercice sensible. Malgré l’adoption de la loi SR-2021, qui encadre légalement l’IVG dans des conditions strictes, les mentalités évoluent lentement. Les discussions autour du sujet restent souvent confinées à des cercles restreints. Cette chape de silence empêche l’accès à une information fiable, met en danger les femmes, et perpétue des idées fausses sur ce que la loi autorise réellement. Or, tant que ce silence persiste, les risques pour la santé publique demeurent.
C’est précisément dans cette optique que l’ONG Filles en Actions a organisé le 26 juin 2025 un dialogue intergénérationnel à Cotonou. Cette activité s’inscrit dans la continuité de la campagne DOXAMI. L’objectif de la Soirée Open Mic DOXAMI est de créer un espace de discussion libre entre jeunes et adultes autour des droits sexuels et reproductifs. Trente personnes ont engagé des échanges francs. Réparties en binômes, les participant(e)s étaient porté(e)s par la volonté de se comprendre. Tout ceci, afin de mieux cerner de la loi SR-2021.
Soirée Open Mic DOXAMI : Se parler pour se comprendre

L’expression même “Interruption Volontaire de Grossesse” déclenche encore réactions de rejet. Brian SOSSOU, présidente de l’ONG Filles en Actions, l’a exprimé en ouverture de la soirée Open Mic DOXAMI :
« Déjà entre jeunes de la même génération, c’est compliqué d’en parler sans gêne, sans peur du jugement. Alors qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’en discuter avec des personnes que nous vouvoyons ? Nos parents, nos tantes, nos oncles, cette génération devant laquelle il est encore difficile de prononcer certains mots ? »
Cette mise en contexte a posé les bases de l’échange. Il ne s’agissait pas d’imposer une vision, mais bien d’ouvrir un espace où les divergences, les doutes et les incompréhensions pourraient s’exprimer sans crainte.
Prenant la parole à sa suite, la représentante de la Direction Départementale de la Santé du Littoral a prolongé cette réflexion. Elle a rappelé que l’IVG, bien que légale sous certaines conditions, reste entourée de désinformation. Ce décalage entre la loi et la perception sociale constitue, selon elle, une barrière majeure à l’accès aux soins.
« La santé sexuelle et reproductive reste aujourd’hui un enjeu central, particulièrement pour les jeunes et les femmes”, a-t-elle affirmé. “Mais elle est encore trop souvent enfermée dans le silence, que ce soit à la maison, à l’école ou dans les lieux communautaires. »
En cela, le dialogue intergénérationnel proposé par l’ONG représentait un acte fort de sensibilisation citoyenne.
Créer un espace de parole entre générations
Le format choisi pour la soirée open mic DOXAMI se veut innovant et inclusif. Après une écoute collective d’un podcast retraçant l’histoire de la légalisation de l’avortement au Bénin, les participant(e)s ont formé des duos. Chaque binôme composés d’un(e) jeune et d’un(e) adulte a reçu une thématique de discussion. Parmi elles figuraient les croyances religieuses et l’IVG, les grossesses non désirées, la perception sociale de l’avortement, etc. Grâce à ce dispositif, une interaction directe a été rendue possible dans un cadre sécurisé, où chacun(e) pouvait s’exprimer sans peur du jugement immédiat.
Par ailleurs, les conversations ont mis en évidence une forte tension entre les convictions personnelles et les réalités sociales. Dans l’un des duos, une jeune femme a évoqué le cas d’une adolescente, espoir de sa famille, tombée enceinte hors mariage. En face d’elle, un chef traditionnel a opposé des arguments théologiques.
“Si l’esprit permet une grossesse, c’est que c’est la volonté divine”, a-t-il déclaré.
Pour lui, l’IVG constitue un crime, y compris en cas de viol. Toutefois, face à la question directe “Stigmatisez-vous une femme ayant avorté ?”, sa réponse était plus nuancée : “Elle peut être pardonnée si elle se repent.” Ce type de paradoxe illustre à quel point les convictions peuvent cohabiter avec une certaine forme d’empathie. De plus, cela montre l’intérêt de ce format de discussion pour faire émerger une compréhension mutuelle de la loi SR-2021.
Clarifier, informer, démystifier

À la suite des échanges en binômes, une restitution collective a permis d’identifier les principales incompréhensions. Des interventions de professionnels de santé, d’activistes et de jeunes formé(e)s sont alors venues éclairer les zones d’ombre. Ils (elles) ont rappelé le cadre légal en vigueur, les conditions d’accès à une IVG sécurisée, ainsi que les risques liés aux pratiques clandestines. L’enjeu de cette phase était double. D’une part, déconstruire les fausses croyances. Puis, d’autre part, réhabiliter la loi dans sa fonction protectrice.
Grâce à cet espace libéré de la soirée Open Mic DOXAMI, plusieurs réalités longtemps ignorées ont pu être abordées de front. Quel rôle joue la pression familiale dans les décisions liées à la grossesse ? Pourquoi tant de jeunes filles, même informées, n’osent-elles pas consulter un(e) professionnel(le) de santé ? Ces questions ont trouvé des réponses dans les témoignages recueillis. Loin de chercher à imposer une vérité, les participant(e)s ont accepté de se confronter à leurs propres contradictions. Ainsi, la posture adoptée fondée sur l’écoute, le respect et la volonté de progresser a rendu les échanges véritablement constructifs. En fin de compte, ce sont des dynamiques sociales entières qui ont été interrogées, dans une atmosphère propice à l’apprentissage mutuel.
L’art comme outil de conscientisation

Pour enrichir la réflexion et toucher au-delà du rationnel, l’ONG Filles en Actions a fait le pari d’intégrer une forte dimension artistique à la soirée. Plusieurs tableaux ( slam, musique, peinture, poésie, danse ) ont ponctué les échanges. En effet, ces performances ont complété le travail de sensibilisation de manière artistique. En convoquant l’émotion, l’image et la métaphore, elles ont permis d’ouvrir des brèches dans les représentations figées. Certains textes ont révélé des expériences intimes, souvent douloureuses. D’autres ont dénoncé le double discours social, où les jeunes filles sont blâmées tandis que les responsabilités masculines demeurent invisibles.
L’artiste Rys Marrion, par sa voix et sa présence, a offert un moment suspendu. Sa prestation était le signe que la culture occupe une place centrale dans les luttes sociales. L’art ne résout pas les problèmes, certes, mais il crée les conditions de leur compréhension. Cette combinaison renforce la portée du message, en particulier auprès des publics les plus jeunes. Elle démontre que la sensibilisation ne passe pas uniquement par les mots techniques ou les cadres juridiques, mais aussi par la résonance affective.
La soirée Open Mic du 26 juin 2025 vient s’ajouter aux initiatives déjà entreprises dans le cadre de la campagne DOXAMI. Elle fait suite au carnaval “Ça m’dit ce samedi” organisé à Abomey-Calavi, qui a mobilisé massivement les jeunes autour de la loi SR-2021. Par ailleurs, elle ouvre la voie à un théâtre-forum prévu dans les prochaines semaines, ciblant un nouveau public. Ainsi, si la cible change, le message, lui, reste constant : informer, dialoguer, sensibiliser. L’approche progressive, fondée sur la répétition et la diversité des formats, permet d’installer durablement le sujet dans les esprits.
Hontongnon Yanick ZOUNTCHEGBE